Le capitalisme… et un iPad.

Le 17 février dernier, nous avons été convoqué à une rencontre importante de dernière minute. La veille, une représentante de l’employeur nous avait convoqués sans vraiment de préavis à une rencontre avec le syndicat, préalable à une seconde rencontre pour tout le personnel. L’avocate de l’employeur a contacté le conseiller au dossier, « ça serait important que tu y sois, ils vont avoir besoin de toi, mais je ne peux pas t’en dire plus« . Rien à faire, elle ne dira rien de plus pour le moment.
Pas besoin de plus d’explications, on sait lire entre les lignes. Après plusieurs recherches à droite et à gauche dans nos réseaux de contacts le scénario commence à prendre forme. Notre hypothèse se confirme à mesure que nous parvenons à mettre la main sur de petites bribes d’information, le centre serait surement délocalisé en Ontario.
Fort de notre hypothèse, nous envoyons une grosse délégation à ces rencontres. Fédération du commerce et Conseil central de la Montérégie, pas vrai qu’on va laisser tomber nos camarades! Les boss ne sont pas ravis, « vous ne rentrerez pas tous, ce n’était pas ce qui avait été convenu ». Mais qu’est-ce qui était prévu, vous ne nous avez rien dit pour le moment?
On demande à être présent dans la shop au moment de l’annonce. Pas vous tous, pandémie oblige. Ces boss qui ont tardé à mettre en place les règles de prévention et pour lesquelles le syndicat s’est battu d’arrache-pied sont en train de revirer ça contre le syndicat. La marmite saute. « Tu te crissais ben de la pandémie et maintenant que tu me criss dehors, là ça devient, par magie, ben important !!! » L’employeur demande à ce que le ton demeure respectueux… Quand tu retires à des salarié-es leur travail pour lequel ils se sont donnés pendant de si longues années, quand tu leur annonces qu’ils ne font pas le poids devant la volonté de l’employeur de faire plus d’argent encore… eh bien, il est possible que ça sorte un peu du décorum auquel tu t’attendais!
On a le droit d’être accompagnés de deux représentants de la CSN pendant l’annonce et un troisième après coup quand les boss sortiront de la salle. Cette pandémie est tellement utile parfois.
Oh que oui qu’elle est utile cette pandémie! Elle justifie que le grand boss, qui doit procéder à l’annonce, puisse rester bien assis sur son fauteuil sans devoir se déplacer sur place et faire cette « tâche ingrate ». L’annonce se fera sur Teams. Les salarié-es ne méritent même pas une installation technologique digne de l’annonce qui leur sera faite. Oh que non… on laisse le contremaître patenter un iPad dans la cafétéria avec un tout petit haut-parleur rabouté.
Un iPad… oui, un iPad! On t’annonce que ta job et celle de tes camarades vont cesser dans les prochaines semaines avec un maudit iPad!
Comme si ce n’était pas assez, après de longues minutes de « problèmes techniques » où le boss demande de la compréhension, la rencontre débute… sans traduction! C’en est trop. Le conseiller intervient et exige la traduction sur le champ, ce n’est pas vrai que ce genre d’annonce se fera en anglais en plus.
C’est la surprise, la consternation. Les émotions passent de la tristesse, à la colère, une montagne russe d’émotions. Les expressions d’usages ne suffisent pas à apaiser la douleur et la rage, « nos employés sont importants pour nous », « ç’a été la décision la plus difficile que j’ai prise de ma vie », « nous accompagnerons nos employés jusqu’au bout », « nous sommes reconnaissants du travail de nos employés ».
Quand on te dit, année après année, que la shop est rentable et que tout se passe bien… eh bien, tu t’expliques mal cette décision. Et, c’est là que tu te rends compte que ton travail, tes efforts et tout ce temps mis à faire ton travail avec professionnalisme et attention n’auront pas servi à te donner plus de valeur qu’une colonne de chiffres.
C’est ça le capitalisme et on en a eu amère démonstration au travers l’écran d’un ridicule petit iPad!
L’exécutif du Syndicat des travailleurs du C.I.A.Q. (CSN)